Maladies, blessures, déficiences, handicap, autonomies, situations de handicap,… le poids des mots

Différents interlocuteurs m’ont dit que j’étais malade ou blessé ou handicapé. Certains m’ont dit que j’étais en situation de handicap… D’autres m’ont dit que je présentais une déficience, un désavantage, … On m’a enfin parlé d’autonomie ou de manque d’autonomie, d’incapacité et d’invalidité... Pourquoi toutes ces différences ? Ces nuances ? Quels termes puis-je, moi, utiliser pour parler de ma situation ? Pour communiquer sur celle-ci ? Que suis-je en vérité ?

Selon la loi du 11 novembre 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ( je serais donc handicapé ?), « constitue un handicap »… « toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant. »

Je découvre ici un vocabulaire neutre, strictement descriptif, non stigmatisant. Il n’est pas question d’incapacité mais de « limitation » ou de « restriction ». Il n’est pas question de déficience mais « d’altération » de fonctions organiques. Je note que cette définition reconnaît aussi le handicap psychique ce qui est une nouveauté vis-à-vis de la loi de 1975 (précédente loi sur le handicap). Le caractère relatif du handicap est ici également reconnu de deux manières. D’une part, l’environnement de la personne est pris en compte pour déterminer son handicap et par conséquent son besoin de compensation. D’autre part, le handicap est défini d’emblée comme restriction de participation à la vie sociale et il est même souligné que celle-ci est subie, ce qui désigne clairement l’environnement comme facteur de constitution du handicap.

Tout cela est très bien mais comment en sommes nous arrivés là ? Pourquoi ne pas utiliser les termes couramment usités ? Ne pourrait on pas faire simple ? Pour le savoir, je reprends la démarche à l’envers… Qu’est ce qu’un handicap ?

Ce mot, handicap, est d’origine anglaise. Il signifie « la main dans le chapeau » (Hand in cap). Le rôle du chapeau n’est cependant pas clair. Pour certains, il s’agirait d’un jeu pratiqué dans les tavernes de Londres au milieu du 17ème siècle, au cours duquel des individus voulant échanger des objets devaient mettre la main dans un chapeau pour tirer le prix à payer, fixé par un arbitre de manière à obtenir un échange égal. Pour d'autres, il s'agirait d'une pratique irlandaise de la même époque selon laquelle on tirait du fond d’un chapeau le prix d’un cheval, fixé par des tiers, afin d’éviter les palabres sans fin entre « horsemen ». La première signification du mot handicap semble ainsi renvoyer à un juste prix, un échange égal, une égalité des chances. C’est encore dans ce sens que le mot handicap est utilisé aujourd’hui pour les courses de chevaux : le handicapeur pénalise les meilleurs chevaux en leur attribuant une charge supplémentaire (poids ou longueur) qui permet aux chevaux de moindre performance d’avoir la même chance que les meilleurs chevaux. D’autres sports, par exemple le golf, utilisent aussi le mot handicap dans ce sens.

Introduit en France au début du XXème siècle dans le dictionnaire de l’Académie française comme un de « ces anciens anglicismes qui ont cessé de l’être », le mot handicap a été adopté, au cours des années 50, par les milieux sociaux et médicaux. Mais en passant du sport à la médecine, la charge supplémentaire a été vue dans l’infirmité, l’invalidité, la déficience, etc. Le mot handicap a dès lors désigné une infériorité et non plus une supériorité. Repris dans ce sens - et donc officialisé - par les lois sur le handicap de 1957, 1975 et 1987, il a constamment désigné tantôt les déficiences de la personne, tantôt ses limitations ou ses incapacités. L’avantage de ce mot était d’éviter des expressions à connotation fortement négative qui désignaient les personnes handicapées comme personnes anormales. Son inconvénient majeur était de placer cette anormalité non désignée dans la personne elle-même.

Un renversement de perspective s’est opéré au cours des vingt dernières années grâce à l’action courageuse de certaines associations de personnes handicapées ou de parents de personnes handicapées.
Plus récemment, c’est l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui a ouvert de nouvelles perspectives avec sa nouvelle Classification Internationale du Fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF). L’accent s’est ainsi déplacé de la déficience ou de l’incapacité vers la situation dans laquelle cette incapacité est mise à l’épreuve.

Alors que la déficience correspond, selon l’OMS, « à toute perte de substance ou altération d'une structure ou fonction psychologique, physiologique ou anatomique », l’incapacité est elle définie comme « toute réduction (résultant d'une déficience), partielle ou totale, de la capacité d'accomplir une activité d'une façon ou dans les limites considérées comme normales pour un être humain ». Bien entendu, ces éventuelles déficiences ou incapacités résultent de la présence d’une maladie ou d’un trouble observés comme une « chose anormale se produisant au niveau de l'individu, soit à la naissance (phénomène congénital), soit plus tard (acquis). Une succession de circonstances causales, "étiologie", entraîne des modifications dans la structure ou le fonctionnement du corps, "la pathologie". Les transformations pathologiques peuvent être évidentes ou non; si elles le sont, on les décrit comme des "manifestations" qui, en termes médicaux, sont subdivisées en "signes et symptômes". Ces caractéristiques sont les composantes du modèle médical de la maladie, comme cela a été indiqué dans l'introduction. »

Pour résumer, une maladie ou un trouble cause, chez une personne atteinte, une déficience. Cette déficience provoque une incapacité à réaliser telle et telle chose. Or, cette incapacité à réaliser telle ou telle chose, pour autant qu’elle soit confrontée à un environnement non adapté à compenser cette incapacité, crée un désavantage, un handicap.

Cette analyse de la CIF met au premier rang ce que l’OMS appelle les « facilitateurs » : aides techniques de compensation, établissements et services, protection sociale, regard tolérant de la société, etc. Si l’environnement est caractérisé par la présence des « facilitateurs » les interactions présentent surtout des aspects positifs. Dans le cas contraire, ou lorsque les « facilitateurs » sont insuffisants, l’environnement constitue un obstacle ou une barrière pour la personne et crée un handicap de situation, un désavantage qui « résulte d'une déficience ou d'une incapacité qui limite ou interdit l'accomplissement d'un rôle normal (en rapport avec l'âge, le sexe, les facteurs sociaux et culturels)».

C’est dans ce contexte qu’est apparue, en France, l’expression « personnes en situation de handicap ». L’expression « personnes en situation de handicap » présente l’avantage de déplacer le regard de la personne vers l’environnement. Le handicap n’est pas dans la personne. Il se distingue de la déficience, de l’incapacité qu’elle génère et de la dépendance à l’égard d’un tiers (aide technique ou humaine) qui en résulte. Aucune personne ne peut être réduite à ses déficiences et à ses incapacités. Car toute personne a des capacités à valoriser. D’un autre côté, l’accent mis sur l’environnement est particulièrement opportun en France où les retards se sont accumulés en matière d’accessibilité au point de générer de véritables discriminations. Il est vrai qu’un environnement non aménagé pour des personnes sourdes (absence de signaux visuels dans un bus ou un train, par exemple), des personnes aveugles (absence de signaux sonores), des personnes en fauteuil (absence de rampe d’accès ou d’ascenseur dans un immeuble), etc. peut constituer un handicap pour beaucoup de personnes et, en tous cas, constitue certainement un handicap pour une personne dépendante. Encore faut-il remarquer que la notion d’environnement évoquée ici (accessibilité de tous à tout) est distincte de celle utilisée par l’OMS (Cf. les « facilitateurs » évoqués ci-dessus). Sous cette réserve, l’expression « personnes en situation de handicap » souligne heureusement que la politique du handicap doit lier indissolublement droit à compensation et accessibilité de la Cité. L’un sans l’autre n’est que ruine du handicap. Mais l’expression « personne en situation de handicap » n’est pas pour autant satisfaisante. D’abord parce qu’elle est soit diabolique soit redondante. Le handicap est toujours une situation, c’est-à-dire la rencontre d’une dépendance – fût-elle momentanée - et d’un environnement insuffisamment aménagé pour cette dépendance. Occulter la notion de dépendance conduit ipso facto à qualifier la personne en fauteuil soit de personne handicapée (langage courant) soit de personne en situation de handicap alors même que l’environnement n’a pas encore été pris en compte. 

L’expression « personnes en situation de handicap » n’est donc pas formellement correcte car elle pourrait traduire une attitude de fuite devant la réalité du handicapIl est en effet et avant tout absolument nécessaire de partir de la personne, de la reconnaître dans sa dignité, d’identifier et d’évaluer ses déficiences, ses incapacités autant que ses potentialités et ses capacités, ses handicaps dans la vie quotidienne, dans la recherche d’un emploi, dans toute autre situation de la vie ordinaire, de prendre en compte ses aspirations et son projet de vie, pour finalement déterminer son besoin de compensation en aides humaines, techniques, animalières ou autres aides de toute nature…

 
Je comprends un peu mieux maintenant pourquoi il est si difficile pour mes interlocuteurs de choisir telle et telle expression pour aborder ma situation. D’un côté, il existe le vocabulaire « historique » rentré dans le langage courant et de l’autre il s’agit pour chacun de se positionner par rapport à la maladie ou au trouble: intéressé, famille, médecin, défenseur ou opposant à compensation, décideur, etc. Chacun « observe » le handicap dans un contexte bien particulier… Reste qu’il me faut moi aussi définir quels termes seront les plus appropriés pour évoquer ce que je vis, ce que je ressens, ce que je suis… 

Comme tout le monde, il est vrai qu'il m'arrive d'être malade, blessé ou handicapé. Je suis aussi parfois déficient, inadapté, désavantagé, peu ou pas autonome... Je pourrais l'être même un peu plus que les autres... Dans ces cas là, comme tout le monde, je veux bien être soutenu, aidé...

 Mais j'ai aussi une certitude, celle de ne pas vouloir être "étiqueté"!

Alors finalement, je crois bien être MOI, tout simplement... Moi, avec mes qualités et mes défauts... Pour vous, je serais sans doute malade, blessé ou handicapé. Je serais peut être déficient, inadapté, désavantagé, peu ou pas autonome...  mais, pour moi, quoiqu'il arrive, je resterai MOI !

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