L'annonce de la deficience, du handicap


S'il est une expérience que, au sein de notre réseau, nous avons tous vécu, c'est bien celle de l'annonce de la déficience, de la maladie, du handicap. Aussi, nous est-il paru important de vous proposer cette approche qui, à défaut d'être universelle, reprend l'ensemble des recommandations que nous pourrions vous faire pour affronter ce qui nous a tant marqué...

L'annonce d'une déficience ou d'un diagnostic pouvant amener au handicap est effectivement un moment de rupture, souvent source d'une souffrance immense d'autant qu'elle fait fréquemment suite à une période de doute et d'inquiétude dans l'attente de ce diagnostic...

L'existence de signes de dysfonctionnement (retard psychomoteur, douleur,...) d'antécédents dans la famille ou de symptômes évocateurs d'une maladie ou de déficiences connues ont incité la personne ou les parents, s'il s'agit d'un enfant, à consulter des médecins. Des examens médicaux sont pratiqués; le corps est au centre des préoccupations médicales. C'est une période qui peut être difficile d'autant qu'elle peut, dans certains cas, durer plusieurs mois. Les familles peuvent se sentir alors très seules face à leurs interrogations surtout si des doutes et des blessures ont pu préalablement s'installer. En effet, lorsqu'il s'agit d'un enfant, les parents ont parfois été remis en cause par l'entourage ou les professionnels dans leur façon d'élever cet enfant, au point de douter d'eux-mêmes, les troubles observés n'étant pas reliés à une maladie. Parfois, l'enfant lui même ou l'adolescent n'a pas été compris dans ses symptômes: on a pu penser qu'il était paresseux, trop lent ou moins doué que les autres... De même, lorsque les premiers signes d'une maladie apparaissent à l'âge adulte, sans cause encore identifiée, les symptômes (diminution des capacités) ont pu laisser la personne face à ses difficultés et à l'incompréhension de l'entourage.

C'est ainsi que l'annonce du diagnostic, si elle est une douloureuse révélation, peut être parfois libératrice. Cependant, elle reste toujours un moment extrêmement fort et douloureux. Un moment qui reste à jamais gravé dans l'esprit des personnes qui la vivent. Même s'il y avait des symptômes qui existaient déjà, des membres de la famille atteints, des signes évocateurs d'une maladie qui auraient permis de s'y préparer, l'énonciation du diagnostic est un véritable "coup de massue".
Que l'annonce fasse suite à un accident ou au diagnostic d'une maladie, c'est une blessure qui touche le plus profond de l'être, et qui laisse pour un temps les personnes ébranlées dans leur identité, en perte de repères. Lorsqu’il s’agit d’un enfant, ce n’est plus l’enfant rêvé, mais un autre qu’il va falloir regarder tel qu’il est. Cette réalité fait naître des sentiments très ambivalents d’amour voire de rejet qui sont naturels mais qui, souvent, culpabilisent.
Cependant, l’annonce met aussi un terme à une période d’incertitude, coupe court aux suppositions et interprétations erronées. Si la période d’attente d’un diagnostic a été longue, l’annonce peut alors apporter un certain apaisement et soulager par rapport à ce que l’on pensait avoir « mal fait ». L’annonce permet de comprendre, de nommer ce que l’on soupçonnait.

La consultation d’annonce du diagnostic est un moment très singulier. Les émotions sont tellement fortes que la plupart du temps la personne ou les parents se trouve dans un véritable état de sidération ; le temps semble s’arrêter, mis en suspens. Souvent, on n’est pas en mesure d’entendre tout ce que dit le médecin ce jour-là, ni de se souvenir ensuite de ce qui a été dit. On peut également ne pas comprendre toutes les réponses qu’il donne aux questions posées. Ces mécanismes réactionnels sont normaux à ce moment-là ; ils protègent la personne d’un impact émotionnel trop douloureux.
Tout ce qui n’a pas été compris la première fois sera réexpliqué au fil des consultations suivantes. Et cela, même si la personne concernée n’est pas suivie par le médecin qui fait l’annonce, ce qui peut être le cas. L’information pourra être reprise avec la personne touchée ou les parents, en s’adaptant à ce qu’ils savent déjà et veulent maintenant savoir ou non, mais aussi en tenant compte de ce qu’ils semblent pouvoir supporter dans l’immédiat. Ces étapes devront leur permettre d’intégrer l’information, de se l’approprier plus facilement.
Elles seront également l’occasion de faire le point avec la personne concernée sur sa situation actuelle ou celle de son enfant, de valoriser tout ce qu’il ou elle est encore capable de faire, d’évoquer la prise en charge, les possibilités de soutien… le dialogue qui s’instaure dans le temps a aussi pour objectif d’établir une confiance entre la personne et sa famille et les équipes soignantes. Dans cette perspective, celles-ci doivent faire preuve d’une grande écoute et de disponibilité.
La qualité des liens futurs entre la personne ou l'enfant concernés, leur entourage, le médecin et les équipes soignantes dépend beaucoup de celle de la communication qui s’établit lors de la consultation d’annonce. La consultation d’annonce doit créer un environnement favorable à la prise en charge ultérieure et permettre à la personne atteinte de s’approprier ce qui a été dit de sa déficience. Elle doit aider la personne concernée, les parents, l’enfant… à retrouver de nouveaux repères pour le présent, et à envisager l’avenir avec sa déficience.

Le retentissement de l’annonce est très différent selon les circonstances du diagnostic et l’histoire personnelle de la famille ou de la personne. Surmonter l’annonce implique de franchir des étapes plus ou moins longues pour parvenir à s’adapter à la réalité. Le dialogue facilite ce long cheminement.

Après l’annonce, les comportements et les pensées évoluent au cours du temps, selon les évènements de la vie et/ou la progression d'une maladie. Ils diffèrent selon les personnes et, chez une même personne, selon les situations (une personne pourra ainsi se battre pour ses droits sociaux et adopter une attitude passive dans la gestion des soins qui s’imposent…). Nier l'accident, la déficience, la maladie, éprouver de l’anxiété, de la colère, être déprimé ou sans énergie sont des réactions possibles. Elles peuvent se traduire par des troubles du sommeil, une grande tristesse…
Le couple (qu’il s’agisse des parents d’un enfant atteint, ou d’un des conjoints atteint) et la famille au sens large (grands-parents, oncles et tantes…) va devoir également apprendre à vivre avec la déficience. Celle-ci va souvent bouleverser les rapports interpersonnels, parfois raviver des conflits passés, et mettre chacun à l’épreuve par rapport à son fonctionnement intérieur…
L’adaptation à la nouvelle situation subie passe par des étapes nécessaires plus ou moins en fonction de chacun ; elles peuvent aboutir à une prise de conscience profonde et permettre un ajustement progressif à la réalité. Procéder étape par étape aide à faire face à la souffrance émotionnelle inévitable liée, par exemple, à l’évolution d'une maladie, et à ses conséquences sur les relations avec les autres, sur le travail, les activités, les loisirs… S’autoriser à dire ses inquiétudes et ses sentiments (à des professionnels ou des proches) afin de ne pas s’isoler, peut rendre les choses plus faciles.

L’enfant est très tôt capable de comprendre les explications qu’on lui donne sur son état physique, à condition d’employer des mots simples et adaptés à son âge. C’est lui qui donne la juste mesure de ce qu’il veut savoir. Il n’est pas nécessaire d’en dire plus que ce qu’il demande, les autres questions viendront par la suite. Il peut d’ailleurs arriver que l’enfant questionne mais ne veuille pas de réponse. Il faut respecter cette demande, qui peut signifier que l’enfant teste la capacité de l’entourage à l’entendre sur sa situation médicale. Si l’enfant est considéré dans ce qu’il a à dire, il a toutes les chances de mieux se construire avec sa déficience.
Les enfants ont, eux aussi, besoin de temps. Alors que certains enfants s’adaptent à leur déficience sur le mode du rejet et de l’opposition qui s’exprime souvent par un refus de soin ou de rééducation, d’autres sont inhibés et travaillent intérieurement pour un maintien de la dépendance. D’autres enfin, dans le meilleur des cas, trouvent les ressources pour assumer ce qui leur arrive. En général, un enfant adopte l’une ou l’autre attitude à un moment de son développement.
La prise de conscience par l’enfant de la réalité de la déficience est plus tardive que pour ses parents. Mais très tôt, l’enfant s’interroge sur ce qui lui arrive. Il a du mal à relier les choses ; un sentiment d’étrangeté peut s’installer car il perçoit une différence en lui mais aussi avec les autres. Il tente de trouver une explication à ce qui lui arrive. Parler avec lui de sa déficience joue alors un rôle essentiel, dès lors que le dialogue est possible, et même si cela va contre l’idée répandue que cela pourrait lui faire plus de mal que de bien. Pour cela l’enfant peut parler avec les professionnels des consultations pluridisciplinaires, médecins, psychologues… l’entretien avec l’enfant n’a pas pour seul but de l’informer ; il instaure aussi le dialogue qui va l’aider à exprimer ce qu’il ressent et à assumer ce qui lui arrive : cela est très important tout au long de son développement. En ce sens, l’enfant a aussi besoin de parler avec son père et sa mère au jour le jour, afin que se disent les inquiétudes, les questions… Cette communication peut être difficile au début, lorsque les parents ne savent pas encore comment parler à leur enfant de tout cela. Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à demander conseil auprès des professionnels qui suivent l’enfant. Et souvent, le dialogue parviendra à se mettre en place petit à petit. Parler à l’enfant autorise à croire que sa déficience est une affaire dont on peut parler.

Lorsque l’enfant touché a des frères et sœurs, toute la fratrie est concernée de très près par cette annonce. Les frères et sœurs savent intuitivement que quelque chose est différent: leurs parents sont tendus, agressifs, ébranlés, ou pleurent…, leur frère ou leur sœur n’est plus comme avant. La déficience entraîne des remaniements familiaux importants ; ce que l’on faisait ensemble n’est parfois plus possible. L’attention des parents et de l’entourage est reportée sur l’enfant atteint ; les autres enfants peuvent se sentir délaissés et vouloir regagner à tout prix l’attention et l’estime de leurs parents. Ils se sentent impuissants, coupables et réussissent plus ou moins à gérer ces sentiments. Ils peuvent s’interroger quant à leur propre statut : « Vais-je être moi aussi atteint ? », « Pourquoi ne suis-je pas comme mon frère ou ma sœur ? »… Selon leur âge, ils tentent d’élaborer des explications concernant l'atteinte de leur frère ou sœur. Leur donner l’information juste peut contribuer à les aider, les déculpabiliser…
Au début, les parents ont souvent du mal à parler avec les autres membres de la fratrie du diagnostic qu’ils viennent d’apprendre ; la plupart du temps, leur souci est de protéger ces enfants d’un trop grand choc. Les parents se sentent coupables et impuissants face à leur enfant atteint mais aussi vis-à-vis de ses frères et sœurs. Se parler devient plus difficile. Les parents  peuvent alors minimiser les conséquences de la déficience, ou se taire. Avec le temps, ils parviennent souvent à trouver les mots justes pour dialoguer avec leurs enfants. Si cela est trop difficile, ils peuvent être aidés par l’équipe qui suit l’enfant.
D’autant que ce dialogue peut être l’occasion pour les parents de dire leurs émotions, leur souffrance, leur tristesse, leurs doutes, mais aussi ce qu’ils parviennent à réussir de positif. En apprenant à ne pas taire leurs sentiments, ils témoignent d’une confiance valorisante pour leurs enfants, qui autorise ces derniers à exprimer à leur tour leur propre ressenti. Cette écoute mutuelle peut, à terme, procurer un certain apaisement aux uns et aux autres.

Si la déficience a un impact imprévisible sur les relations familiales (dans le couple, avec ses enfants, entre frères et sœurs…) elle en a un également sur les relations sociales et professionnelles. Pour certains, l’entourage fuit par incapacité à faire face. Pour d’autres, au contraire, l’entourage se rapproche et manifeste beaucoup plus de sollicitude qu’avant. Informer ses proches du diagnostic est souvent une étape difficile, délicate. Mais dire quelques mots pour expliquer, c’est déjà donner la possibilité à son entourage des poser des questions, de montrer sa sympathie, d’offrir son aide…
Il est dans tous les cas essentiel de ne pas s’emmurer dans le silence. Le poids des secrets ou des non-dits parasite la communication avec les autres et finit par isoler. Si l’on peut compter sur l’amour, la sympathie et le soutien des autres, on ne peut pas leur demander de tout comprendre. Pas plus qu’on ne peut leur demander de se mettre à notre place complètement. On peut cependant leur demander de continuer à se parler ; ce qui suppose pour eux de dépasser le sentiment de gêne qui existe parfois au début et qui conduirait à éviter les échanges au quotidien.

Apprendre à se structurer avec la déficience, construire un projet de vie, être ou devenir une personne à part entière, implique des réajustements successifs qui deviennent possibles lorsque l’annonce est surmontée.

Lorsque le diagnostic est posé, la personne atteinte doit se construire ou se reconstruire avec sa déficience. Ce sont les projets que l’on se donne qui font du présent autre chose qu’une attente passive. Cela suppose la découverte par chacun d’une liberté intérieure qui lui permette de développer ses talents et de s’épanouir. « On a une maladie mais on n’est pas sa maladie »…
S’il s’agit d’un enfant dont le diagnostic vient d’être posé, il arrive que ses parents l’observent beaucoup, épiant les signes de dysfonctionnement puisqu’il leur a été dit que cet enfant n’était pas comme les autres. Cette étape, habituelle, est le plus souvent transitoire. Secondairement, les parents réaliseront que, derrière sa déficience, un enfant atteint est toujours un enfant qui a besoin de jouer, d’avoir des camarades, de rencontrer de l’opposition, de se construire…

Dans les pathologies évolutives, la personne ou sa famille aimerait, au-delà du diagnostic, souvent savoir ce qui va lui arriver. Si la médecine regroupe des descriptions de cas, dresse un tableau du trouble dont elle peut énoncer quelques grandes lignes d’évolution, le médecin ne peut pas prédire la façon dont celui-ci progressera chez un individu donné, ni fixer les dates. L’évolution d’une même maladie peut être très différente d’une personne à l’autre. Aucun pronostic ne peut donc vraiment être donné.
S’il est légitime et naturel de s’interroger sur l’avenir, que souhaite-t-on savoir et pourquoi ? Un pronostic ne doit pas figer l’avenir, il doit laisser une ouverture pour penser son devenir. Certains ont besoin de poser des questions précises : quand mon enfant ne pourra-t-il plus faire telle et telle chose ? A quel moment faudra-t-il songer à une assistance médicale, une aide technique ?...
Les questions que l’on peut se poser sont souvent une façon de rechercher des repères pour reconsidérer sa vie et ré-envisager des projets. Les réponses ne doivent pas être entendues comme des vérités immuables mais considérées à travers ce qu’elles permettent d’anticiper et de réaliser dans le présent : l’organisation scolaire, l’adaptation du logement ou du véhicule, sa vie professionnelle…

Qu’elle concerne un enfant ou un adulte, la survenue d'un accident, l’évolution d'une maladie peut remettre en question le lieu de vie (logement adapté, structures de soins particulières), les perspectives scolaires ou professionnelles de la personne et son autonomie, tant sociale que financière. Les institutions ont mis en place des structures d’aides qu’il ne faut pas hésiter à solliciter dès qu’on en a besoin. Les associations de personnes handicapées permettent d’être accompagné par des professionnels et/ou des familles concernées par le sujet, et de cheminer ensemble au fil de celle-ci. Un soutien qui offre la possibilité de s’informer, d’échanger et de partager ses expériences, et qui ouvre aussi un espace de socialisation et d’intégration des incapacités découlant du trouble considéré. Les personnes confrontées à des difficultés similaires sont à même de transmettre les savoirs et les gestes quotidiens à apprendre pour mieux vivre avec la déficience.

Enfin, rencontrer un psychologue ou un psychiatre peut être considéré comme un signe de faiblesse, la preuve qu’on ne « tourne pas rond », ou que l’on est incapable de régler seul ses problèmes. On peut le croire, jusqu’au moment où la détresse est trop envahissante pour soi-même, et où les proches ne peuvent y répondre. Un professionnel spécialisé pourra, sans porter de jugement, entendre cette détresse et aider à y faire face, en fonction des besoins de chacun. Des entretiens psychologiques peuvent être également proposés à toutes les étapes de la prise en charge, tant pour les adultes que pour les enfants. Ils ne sont pas imposés, mais il ne faut pas hésiter à les solliciter lorsque les situations deviennent trop difficiles à supporter. S’il n’existe pas de psychologue dans la consultation dont dépend la personne malade, il est toujours possible de se faire conseiller un spécialiste à l’extérieur de celle-ci.

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